un article sur les traumas et la prise en charge en tenant compte d’un phénomène tres mal connu
La sidération psychique:
La sidération est liée à un phénomène traumatique soit terrifiant, soit de confrontation à la mort.Un face à face avec la mort que connaissent les victimes de viol, mais aussi la plupart des grands traumatisés.
Parmi les survivants du Bataclan par exemple,le phénomène de sidération est particulièrement présent.
Le phénomène est bien connu dans la sphère médicale. Il s’agit d’un ensemble de mécanismes de défense qui se mettent en place lors d’un traumatisme.
Les personnes confrontées à des situations hors-normes sont souvent paralysées. Elles ont le sentiment que leur tête va exploser, qu’elles pourraient mourir de stress.
Et c’est effectivement le cas : un stress extrême entraîne un risque vital pour l’organisme.
Pour y échapper, le cerveau choisit alors de se court-circuiter, sécrétant des hormones qui vont anesthésier la victime.
C’est là que se produit un second phénomène : celui de la dissociation.
la victime vit alors l’évènement de l’extérieur, comme indifférente à ce qu’elle est en train de subir. Elle est, surtout, totalement à la merci de son agresseur, suivant ses ordres, contrainte d’accepter tout ce qu’il peut lui faire subir
Les personnes soumises à cette violence extrême ne peuvent alors pas s’enfuir.
Explication:
Des évènements traumatiques majeurs peuvent avoir un un effet de sidération du psychisme qui paralyse la victime, l’empêche de réagir de façon adaptée, et empêche son cortex cérébral de contrôler l’intensité de la réaction de stress et sa production d’adrénaline et de cortisol.
Un stress extrême, véritable tempête émotionnelle, envahit alors son organisme et — parce qu’il représente un risque vital pour le cœur et le cerveau par l’excès d’adrénaline et de cortisol (Yehuda, 2007) — déclenche des mécanismes neurobiologiques de sauvegarde qui ont pour effet de faire disjoncter le circuit émotionnel, et d’entraîner une anesthésie émotionnelle et physique en produisant des drogues dures morphine et kétamine-like (Lanius, 2010).
Le mécanisme en cause de ces amnésies traumatiques, nous l’avons vu est avant tout un mécanisme dissociatif de sauvegarde que le cerveau déclenche pour se protéger de la terreur et du stress extrême générés par les violences. Ce mécanisme qui fait disjoncter les circuits émotionnels et de la mémoire, et entraîne des troubles de la mémoire, va faire co-exister chez la victime des phases d’amnésie dissociative (amnésie traumatique) et des phases d’hypermnésie traumatique (mémoire traumatique) (Desmedt, 2012).
Pendant la dissociation, l’amygdale, ainsi que la mémoire traumatique qu’elle contient est déconnectée, et la victime n’a pas accès émotionnellement et sensoriellement aux événements traumatiques. Suivant l’intensité de la dissociation, elle pourra être amnésique de tout ou partie des événements traumatisants, seules resteront quelques images très parcellaires, des bribes d’émotions envahissantes ou certains détails périphériques isolés. Ce phénomène peut perdurer de nombreuses années, voire des décennies tant que la personne reste dissociée.
La dissociation est donc un mécanisme de survie qui permet à la victime de ne pas ressentir le stress extrême et la terreur en permanence, ce qui représenterait un risque vital, mais elle ne protège pas du psychotraumatisme. Au contraire celui-ci se chronicise et s’aggrave si d’autres violences sont subies. En quelque sorte la plaie reste ouverte, mais avec l’anesthésie elle semble « cicatrisée ».
Le fait d’être anesthésiée et de ne plus avoir d’alarme émotionnelle expose d’autant plus la victime à des dangers, à de nouveaux traumas et à des mises sous emprise dont elle n’aura pas la possibilité de se défendre ; l’amygdale cérébrale va se charger de plus en plus en mémoire traumatique.
Lors de la dissociation cette mémoire traumatique envahira et colonisera la victime, mais de manière fragmentée, sans connotation émotionnelle, ni état de stress. L’absence de connotation émotionnelle la rend en quelque sorte indifférente, comme sans importance.
Les victimes présentant des amnésies traumatiques partielles ou totales sont dissociées (mécanisme de survie) et en grand danger de subir à nouveau des violences ou des situations à risque. Du fait que la dissociation entraine une anesthésie émotionnelle et corporelle, il est très difficile pour la victime de s’opposer et de se défendre, et elles peut tolérer de nombreuses situations violentes ou à risque avec un seuil de tolérance à la douleur élevé. Cette tolérance à la douleur est un facteur de risque de laisser se développer des pathologies traumatiques et somatiques sans recourir à des soins.
De plus la dissociation fait apparaître la victime comme indifférente, et les professionnels qui la prenne en charge peuvent être contaminés par l’anesthésie émotionnelle et ne pas se rendre compte du danger que la victime court, de la gravité de son état et de sa souffrance, et manquer d’empathie (les neurones miroirs qui normalement informent sur l’état émotionnel d’autrui ne sont pas activés face à quelqu’un qui est dissocié, ils ne renvoient aucune alerte émotionnelle ; si les professionnels ne sont pas formés à reconnaître un état dissociatif, ils peuvent ne pas être protecteurs, et devenir même maltraitants vis-à-vis de la victime).
Quand les victimes ont retrouvé leur souvenir, elles vont être dans un premier temps submergées par une mémoire traumatique qui va les envahir de façon incontrôlée et leur faire revivre à l’identique les violences du passé comme une machine à remonter le temps, avec des fragments plus ou moins importants sous forme de flashbacks sensoriels (images, odeurs, sons, mots ou phrases), cénesthésiques (sensations corporelles, douleurs), kinesthésiques (sensations de mouvements) et émotionnels (sidération, terreur, panique, détresse, désespoir, colère, révolte, etc.), de cauchemars.
La mémoire traumatique fait revivre à la victime ce qu’elle a vu, entendu, fait et ressenti, mélangé sans aucune intégration, ni possibilité d’analyse, en même temps que ce qu’a fait l’agresseur, avec ses paroles, ses cris, sa haine, son mépris, son excitation perverse, ce qui peut donner à la victime l’impression d’entendre des voix, d’être assaillie l’impression de mourir ou d’être en danger de mort ; la victime peut également s’attaquer, s’injurier, avoir l’impression d’être un monstre, d’être habitée par un monstre, d’être envahie par une violence extrême, ou d’être excitée, alors qu’il s’agit de la mémoire traumatique provenant de l’agresseur, de ce qu’il a dit, ressenti et fait (Salmona, 2013, 2015).
L’explosion soudaine de cette mémoire traumatique est extrêmement éprouvante, paniquante et traumatisante pour la victime, elle peut lui donner l’impression de devenir folle ; elle peut être prise par les professionnels de santé pour une bouffée délirante ou des hallucinations, et être traitée comme telle avec une hospitalisation et un traitement neuroleptique. Il est essentiel que les victimes puissent être rassurées et sécurisées, informées de ce qu’il leur arrive avec des explications détaillées, et qu’une prise en charge du stress et de la mémoire traumatique soit immédiatement engagée pour moduler le stress (avec des bêtabloquants, une sécurisation et des exercices de respiration) et désamorcer la mémoire traumatique (avec des paroles rassurantes, des liens pour analyser la situation, la rapporter et la contextualiser par rapport aux violences du passé, et pour identifier et séparer ce qui provient de la victime ou de l’agresseur), et permettre à la victime de reprendre pied dans le présent, dans ses ressentis et sa perception d’elle- même, tout en analysant ce qui s’est revécu du passé.
Le traitement de la mémoire traumatique permet de l’intégrer et de la transformer pas à pas en mémoire autobiographique.
Il s’agit de « réparer » l’effraction psychique initiale, la sidération psychique liée à l’irreprésentabilité des violences (Steele, 1990 ; Van der Kolk, 2001, Salmona, 2012).
Cela se fait en « revisitant » le vécu des violences pour qu’il puisse petit à petit devenir intégrable, car mieux représentable, mieux compréhensible, en mettant des mots sur chaque situation, sur chaque comportement, sur chaque émotion, en analysant avec justesse le contexte, ses réactions, le comportement de l’agresseur.
Quand la mémoire traumatique est intégrée en mémoire autobiographique, le psychotraumatisme est traité, il n’y a plus de sensation de danger permanent, de nécessité d’être continuellement en état d’alerte, et les stratégies de survie (conduites d’évitement et de contrôle, et conduites dissociantes risque pour s’anesthésier comme les conduites addictives et les mises en danger) deviennent inutiles, il n’y a plus de troubles cognitifs, les atteintes neurologiques sont réparées (Ehling, 2003).